Source Bruno Cavalier (Chef Economiste ODDO)
POINTS CLÉS
Alors que nous entamons la deuxième partie de 2023, il est utile, si l’on veut apprécier de quel côté penche la balance des risques pour l’économie mondiale, de faire un petit retour en arrière sur les principaux développements économiques et financiers des derniers mois.
Certaines évolutions étaient en large partie anticipées, par exemple la poursuite de la lutte des banques centrales contre l’inflation. Presque toutes ont continué de durcir leur politique monétaire au premier semestre, à un rythme toutefois un peu moins rapide que l’an passé. Les taux directeurs de la BCE sont désormais presque à leur record historique de 2000 ; ceux de la Réserve fédérale sont au plus haut depuis 2007. On est bel et bien sorti du régime des taux zéro ou des taux négatifs.
D’autres événements sont eux survenus par surprise, comme l’épisode de stress bancaire qui a abouti à la chute de plusieurs banques américaines de taille moyenne et d’un des géants bancaires suisses. Pendant quelques semaines, on a pu se demander si cela n’allait pas fragiliser tout le système bancaire par effet de domino. Ce n’est pas le cas. Les banques européennes ont renforcé leurs fonds propres après la crise financière de 2008 et ont dans l’ensemble de bons ratios de liquidité. Reste qu’il y a une tendance à la baisse des dépôts, ce qui renchérit leur coût de financement.
Il y a eu aussi des déceptions, la plus notable étant la perte de tonus de l’économie chinoise après un début d’année prometteur suite à l’abandon de la politique zéro-Covid. La levée des restrictions n’a pas suffi à provoquer un retour durable de la confiance. Les autorités chinoises peuvent difficilement rester sans réaction, et des mesures de soutien aux PME et aux administrations locales sont probables.
Il y a eu enfin des développements positifs. Ainsi, les tensions de prix ont continué de dégonfler, en particulier concernant l’énergie. La facture européenne d’importations de produits énergétiques qui avait doublé l’an passé est revenue à un niveau historique standard. Les problèmes de pénurie et de congestion dans le commerce international sont surmontés.
Au bout du compte, le bilan est mitigé à l’image du verre qu’on peut décrire comme à moitié vide ou à moitié plein selon les points de vue.
Le regard "à moitié vide" mettra en évidence la mollesse des perspectives économiques. Selon le consensus, la perspective de croissance mondiale à un an est d’environ 2.5%, en légère hausse depuis le début de l’année (graphe). Même constat au FMI et à l’OCDE qui prévoient un taux de croissance entre 2.5% et 3% en 2023 et guère mieux en 2024. Il est largement admis qu’une tendance normale se situe un point plus haut et que le seuil d’entrée en récession se situe un point plus bas. L’économie mondiale reste donc dans une zone de fragilité. Dans le cas de l’Europe, le PIB réel a tout bonnement stagné au cours des deux ou trois derniers trimestres. L’Allemagne fait même un peu moins bien que la moyenne à cause de la morosité dans l’industrie et la construction ; les pays méditerranéens font un peu mieux, aidés par la reprise du tourisme ; la France est entre les deux. Rien de bien enthousiasmant en somme.
Le regard "à moitié plein" soulignera au contraire la grande résilience de l’économie en dépit de la multiplicité, de la diversité et de l’intensité des chocs adverses. Après tout, on aurait pu craindre que les entreprises, qui sont confrontées à un fléchissement de leurs commandes, réduisent leurs embauches, ou pire, licencient en masse. C’est ainsi que se déroulent d’ordinaire les récessions. Il y a bien en effet quelques signes de modération des conditions d’emploi mais rien de dramatique. Les marges étant élevées, l’emploi résiste plus longtemps. Chez les ménages, les craintes de chômage ont rarement été aussi basses. Par voie de conséquence, cela aide les consommateurs à supporter le choc sur le pouvoir d’achat et les incite à consommer, non à épargner.
Quels sont les risques à surveiller dans les prochains mois ? Tout d’abord, le climat géopolitique reste extrêmement tendu, à cause de guerre chaude qui se poursuit entre la Russie et l’Ukraine, à cause aussi de la "guerre froide" qui met aux prises les Etats-Unis et la Chine pour le leadership technologique mondial. L’incertitude qui en résulte n’est pas propice au dynamisme des échanges, ni à la croissance économique.
Ensuite, il faut se garder des effets décalés du choc monétaire. Jusqu’à présent, l’économie mondiale a survécu à la vive remontée des taux d’intérêt mais la prudence reste de mise. Il faut toujours un certain temps pour que le durcissement des conditions de financement se répercute sur la demande des ménages et des entreprises. Le crédit est plus rare et surtout plus cher que par le passé. Les effets s’en font sentir dans le secteur immobilier où l’on observe un repli des prêts, de la demande et des prix. Il est à craindre que d’autres segments soient touchés entraînant une hausse des défaillances, et des effets en cascade sur l’emploi et la consommation.
Compte tenu des signes de morosité venant des entreprises depuis quelques semaines, on considère que la balance des risques penche vers le bas. A l’horizon plus lointain de 2024, la désinflation aidant, on peut tabler en revanche sur une amélioration du cycle économique.